Entamer un projet de VAE, ce n’est pas juste enfiler ses baskets pour franchir la ligne d’arrivée. C’est prendre le temps de se questionner, de faire évoluer ses pratiques, mais également de les affirmer et de leur donner du sens. Tout cela relève bien davantage d’une dynamique de reconnaissance que d’une simple démarche de validation.
La validation vient rendre « valide » l’expérience. Valide légalement, et valide pour les institutions, « conforme » et « valable » (Houot 2022). Que serait cependant la certification, le diplôme, sans le sens qu’y met son détenteur ? Sans l’histoire qui va avec ? La validation n’est qu’un aspect de la dynamique de reconnaissance.
Si l’on envisage la VAE de cette manière, elle ne se compose plus seulement d’un parcours du combattant, qui ne se concrétiserait qu’à la sanction d’une validation officielle. Mais elle prend la forme d’un ensemble d’étapes, destinées à reconnaitre et à faire se reconnaitre le candidat, son parcours et ses expériences.
Plus qu’œuvrer pour la « sécurisation des parcours », nous accompagnons l’engagement des candidats par, et dans, une dynamique de reconnaissance, dans et au-delà de leur projet de VAE.L’accompagnateur VAE intervient comme soutien à cette dynamique, et le développement du pouvoir d’agir est un complément à la « sécurisation des parcours ». Il va sans dire que, pour les personnes, rares seraient les engagements dans la démarche, sans la promesse d’une certification en fin de parcours. Le propos sera ici d’avancer l’idée selon laquelle cet engagement ne prend corps, et ne se conforte, que si les professionnels et les personnes œuvrent à y ajouter une dynamique permanente de reconnaissance.
Le premier pas vers la notion d’engagement réside dans le fait d’accepter que la VAE n’est pas systématiquement porteuse de sens pour les personnes, ou qu’elle n’est pas toujours possible.
Elle suppose donc une première étape de diagnostic. Qu’est ce qui, dans un premier temps, a poussé la personne à décrocher le téléphone, à passer le pas de porte d’un conseiller ou d’un accompagnateur VAE ? L’acte est loin d’être anodin et reflète parfois un besoin qui pourrait être assouvi par d’autres voies que celle d’une VAE. Et, si tel est le cas, il est nécessaire de compléter toute réponse négative. Il ne s’agît pas simplement d’expliquer à la personne pourquoi la VAE ne répondrait pas à ses besoins, il s’agît d’utiliser cette réponse comme point de départ à d’autres alternatives et d’orienter vers ces dernières. Que l’acte de décrocher le téléphone ou de passer le pas de porte ne reste pas sans suite.
Cette phase de diagnostic suppose inévitablement une étude de parcours. Une étude retraçant les principales expériences de la personne, mais également l’exploration de celles laissées initialement de côté dans son discours. Le but de la démarche pour le professionnel de la VAE est clair : rapprocher ces expériences d’une ou plusieurs certifications en essayant de trouver la ou les pistes les plus cohérentes.
A cela doit s’ajouter, selon moi, un second objectif. Celui d’accompagner la reconnaissance de ce parcours. Ainsi, peut être atteint un premier nœud de reconnaissance. Ecouter, questionner et rapprocher des expériences de différents référentiels permet à la personne de formuler tout ce qu’elle a pu apprendre et réaliser au cours de son parcours. Rares sont ces instants de rétrospective, atteignant leur paroxysme notamment dans la pratique du bilan de compétence. Ce premier nœud de reconnaissance met à mal la vision d’une VAE qui ne serait vertueuse qu’à la délivrance de la certification. Quand bien même la personne n’irait pas plus loin dans la démarche, la VAE a déjà permis ça.
Il est alors important de valoriser, de pérenniser et d’extraire du champ de la VAE cette première étape de reconnaissance de parcours. Le badge numérique, outil de la reconnaissance non formelle, est particulièrement pertinent pour cela. Il est à la fois l’outil de travail, préparant la constitution du dossier de faisabilité, et le vecteur par lequel ce travail sortira du champ de la VAE pour entrer dans la sphère sociale. Plutôt que de travailler les éléments clés du parcours, afin de justifier de la cohérence entre l’expérience et un référentiel, et ce, uniquement dans un dossier de faisabilité, le professionnel peut alors accompagner la personne vers une reconnaissance plus large de son parcours. Ce premier nœud de reconnaissance permet, lorsque c’est nécessaire, de faire glisser la personne vers un sentiment de capacité intériorisé.
Lorsque la VAE s’avère être un projet possible et cohérent au regard des attentes de la personne et qu’une phase de réflexivité sur le(s) sens porté(s) au projet a été réalisée, il s’agira pour l’accompagnateur de capitaliser sur cette consolidation de sens en faisant passer le candidat d’une phase d’interrogation à un sentiment de capacité. La transition vers ce sentiment de capacité se doit de passer par une étape essentielle : l’information (ou la déconstruction).
La méconnaissance du dispositif, et les craintes allant avec, mettent parfois à mal cette transition vers un sentiment de capacité. Il est, une fois de plus, du ressort du professionnel d’atténuer et de répondre à ces craintes, dans un premier temps par la transmission d’informations ciblées. Dans le cadre du Conseil VAE, cette information se centre sur la ou les certifications pressenties et, de fil en aiguille, sur le fonctionnement du certificateur qui en découle.
Bon nombre de préjugés gravitent autour du dispositif de la VAE. Ce temps d’information est essentiel pour bâtir de solides bases de travail, permettant à la personne accompagnée d’interroger sereinement le sens porté sur le projet et de se projeter dans ce dernier.
Nous n’établirons pas ici une liste exhaustive de toutes les interrogations travaillées lors d’un entretien conseil, mais plutôt de celles qui sont, à mon sens, à travailler quasi-systématiquement.
« Mais c’est un vrai diplôme ? »
Cette question englobe en réalité deux interrogations. La valeur légale de la certification obtenue d’une part. Et la valeur extrinsèque de cette dernière (valeur sociale essentiellement).
Il est aisé d’argumenter sur la valeur légale de la certification obtenue, d’expliquer que la VAE ne constitue que le chemin permettant d’obtenir une certification, que celle-ci ne varie pas en fonction du chemin emprunté.
Il est plus complexe d’amener la notion de récit de soi. Si la VAE permet d’obtenir strictement le même bout de papier que la formation et qu’il n’y a nulle obligation de préciser à quiconque le chemin emprunté, pourquoi les personnes le précisent-elles si souvent ? Je prends régulièrement pour exemple le CAP coiffure en évoquant la richesse d’un livret de preuves sur ce métier : « vous n’avez pas idée de la maitrise, de la passion et de la richesse d’un récit pouvant découler de la réalisation d’un chignon ». Ces mots font souvent sourire mais permettent d’entamer une projection vers le métier exercé par la personne accompagnée.
Cette notion de récit de soi est certes critiquable. Elle tendrait à créer du lien entre des événements discontinus et dénués, à l’origine, de liens entre eux. C’est en tout cas le postulat de Bourdieu lorsqu’il parle d’« illusion biographique » (Bourdieu, 1986). Mais quand bien même ce récit de soi engendrerait une déformation de la réalité, ce dernier ne permettrait-il pas à la personne de se construire une identité, pas seulement professionnelle. Il en devient un moyen de consolider et de capitaliser sur la somme des expériences vécues.
C’est un « vrai » diplôme, mais c’est surtout le vôtre.
« Je ne me sens pas de faire ça seul »
Oui la VAE est une démarche personnelle, oui l’acte d’écrire se fera essentiellement seul, mais non, les candidats ne sont pas livrés à eux-mêmes.
La pratique du Conseil permet d’appréhender et d’accompagner la VAE sur un territoire. Cette dernière prend réellement forme grâce aux acteurs qui la portent, qu’ils soient certificateurs, financeurs, accompagnateurs/AAP ou Conseiller. La VAE, sur un territoire, prend la forme que lui donne l’écosystème. Au-delà du cadre réglementaire. La VAE c’est avant tout des personnes.
Personnifier le dispositif VAE permet de rompre avec un bon nombre des craintes énoncées par les potentiels candidats. Mettre des personnes, des noms, des attitudes, sur les étapes clés de la VAE permet de lever les flous et de rapprocher mentalement la VAE du candidat. Savoir que Monsieur ou Madame X recevra mon dossier me permet de rompre avec une image éloignée d’une VAE froide et abstraite.
Personnifier la VAE permet également de poser les attentes de chacun dans les différentes étapes qui la traverse.
« Monsieur X connait très bien ce diplôme, son rôle sera de savoir si vos expériences correspondent et si le projet de VAE est cohérent. Il aura donc besoin de tous les éléments utiles à sa compréhension. Les preuves administratives, mais aussi et surtout le détail de vos expériences et des activités réalisées. »
Enfin, les accompagnateurs et les conseillers ont également pour rôle d’apporter une présence, un étayage, plus ou moins diffus dans les parcours de VAE. Une réflexion sur les « ressources » humaines à disposition du candidat peut également être menée par le professionnel. Des ressources dans la cellule familiale, auprès de proches, etc. Autant de ressources permettant d’accompagner la dynamique et de la soutenir.
« J’ai quitté l’école depuis longtemps, vous ne vous rendez pas compte »
Un ennemi indéniable de cette transition vers un sentiment de capacité réside dans l’affiliation, quasi-évidente, de la VAE au monde scolaire. Un monde scolaire pouvant être autant synonyme de frustrations et/ou d’échecs, que de réussites. Nous ne sommes pas tous égaux socialement face à l’Ecole, et en cela, nous ne le sommes pas non plus lorsque nous nous projetons dans un projet de VAE.
Cependant, la VAE ce n’est pas l’école. Il est important de rappeler que la VAE c’est avant tout la personne qui la porte. Demander à un « cuistot » avec 10 ans de métier derrière lui d’aller à l’école apprendre à monter une sauce, ou lui demander d’expliquer comment il le fait et pourquoi il le fait de telle ou telle manière, ce n’est pas la même chose.
La crainte de retrouver dans la VAE les frustrations ou échecs potentiellement vécus dans le monde scolaire est assez simplement annulée par la lecture du référentiel d’activités professionnelles. Si le diplôme est un verre d’eau, il s’agit de le boire en formation ou de le remplir en VAE. De le remplir de souvenirs, de vécu.
A cette étape, rien ne vaut selon moi la démonstration. Je me place alors, lors de l’entretien, dans la peau d’un agent de services hospitaliers, faisant fonction d’aide-soignant, qui me raconterait au pas à pas une toilette du matin-même. J’intègre dans cette explication, systématiquement un regard réflexif posé sur chacune des actions.
J’ai en mémoire une personne reçue qui m’expliquait lors de l’entretien pourquoi il était si important de sourire avant même d’entrer dans la pièce :
« Il faut s’apprêter Monsieur. Demain matin, tôt, je rentre chez vous avec un air mécontent et j’ouvre la porte à la volée, vous réagissez comment ? ».
La théâtralisation permet, dans un premier temps, de faire le lien avec le référentiel du diplôme d’aide-soignant, de rendre concret son contenu. Puis, dans un second temps, d’effectuer une passerelle vers les expériences de la personne reçue et ses activités quotidiennes.
En définitive, après l’étape de diagnostic, celle d’information est inévitable. Elle permettra à la personne reçue de basculer vers un sentiment de contrôle.
S’il s’avère cependant que cette première phase de diagnostic soulève une ou plusieurs possibilités de projets de VAE (tant en termes de pistes que de possibles réponses aux besoins énoncés par la personne), le rôle du professionnel doit être de susciter et d’accompagner la réflexion autour du projet :
« Pour quoi ? »
Ces échanges permettent à la fois d’affirmer ou d’infirmer un besoin initialement évoqué mais également d’en soulever et d’en travailler de nouveaux. Cette phase d’accompagnement à la réflexivité sur la notion de sens est cruciale. Une fois de plus, il est du rôle du professionnel de la VAE de faire se questionner la personne sur les apports qu’elle pourrait identifier à la réalisation d’un tel projet. Au-delà de l’obtention de la certification, qu’apporterait la démarche ? Aller du “je dois” au “je souhaite”. La mise en action, dans un projet de VAE, n’est efficace que lorsque le projet n’est pas subi.
La VAE constitue un puissant vecteur de reconnaissance. Elle place la personne face à son parcours et l’amène à analyser, réinterroger et expliciter son vécu. Pas seulement pour un jury composé d’inconnus, mais avant tout pour elle-même. L’écriture se fait d’abord avec soi-même et pour soi-même. Au fil des échanges, la personne pourra ainsi mettre en avant et conforter les motivations qu’elle identifie. Reconnaissance, quête d’équité, possibilité de “corriger” une injustice ressentie dans la sphère scolaire, alimenter son curriculum vitae, etc. (Mayen ; Pin, 2013).
Dès lors que ces trois étapes ont été travaillées avec la personne, le terrain devient fertile à l’engagement. L’engagement, intériorisé, se doit de prendre du temps.
BOURDIEU, P., 1986, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en Sciences sociales, n° 62-63, p. 69-72.
CARVACO, C., 2013, “Reconnaissance et Validation des Acquis de l’Expérience. Les résultats (in)attendus”, Questions vives, Recherches en éducation, Vol.10 N°20, pp. 79-93.
KHECHA, C. ; SOUBIEN, Y. & RIVOIRE, D., “De la VAE 2002 à la REVA 2020 : libérer la VAE. Reconnaître l’expérience tout au long de la vie”, Paris, Ministère des solidarités et de la Santé, Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.
MAYEN, P. & PIN, J. (2013). “Conditions et processus de l’engagement en VAE”, Formation emploi, 122, 13-29.
HOUOT, I. (2022). Reconnaissance et validation des acquis de l’expérience. Dans : Anne Jorro éd., Dictionnaire des concepts de la professionnalisation (pp. 373-378). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
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